Contrôle antidopage : le Conseil d’Etat donne sa bénédiction à l’inquisition sportive
Le Conseil d’Etat vient de valider certaines les dispositions qui soulèvent le plus d’interrogations contenues dans l’ordonnance du 14 avril 2010 relative au dopage.
Alors que les autres textes sur le dopage faisaient l’objet d’un débat parlementaire, et afin de face faire à l’encombrement du Parlement, l’harmonisation droit français pour respecter le Code mondial antidopage étant urgente, il a été glissé un article 85 dans la loi n°2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, qui autorise le gouvernement à modifier par ordonnance le code du sport dans ses dispositions relatives au dopage.
L’origine principale de ces modifications est à rechercher dans la ratification par la France de la Convention de l’UNESCO sur le dopage du 19 octobre 2005, par la loi n°2007-129 du 31 janvier 2007. Désormais, de manière indirecte mais certaine notre pays s’oblige à suivre les évolutions initiées par l’Agence Mondiale Antidopage et notamment celle du Code mondial antidopage et de ses textes annexes dont il convient de rappeler qu’il ne constitue pas en lui-même un traité ayant des effets obligatoires. La convention de l’UNESCO dans l’alinéa 1er de l’article 8 prévoit seulement que les Etats « adoptent des mesures » sans préciser qu’il s’agit de facto sinon de jure d’introduire en droit interne les dispositions du nouveau Code mondial antidopage entré en vigueur le 1er janvier 2009 afin de satisfaire le mouvement sportif international. En fait, ce n’est pas seulement le Code mondial antidopage qui trouve maintenant à s’appliquer sur notre territoire, ce sont aussi ses différentes annexes, ce que le Conseil d’Etat refusait jusqu’alors.
L’entrée vigueur de l’ordonnance du 14 avril 2010 modifiant entres autre le code du sport ; a conduit à des modifications importantes du régime de la localisation des sportifs de haut niveau avec la création d’un fichier spécifique. Un tel fichier permet d’effectuer des contrôles inopinés à l’égard des sportifs qui appartiennent à un groupe cible. L’idée de la localisation des sportifs est liée à l’existence de produits dopants dont les effets durent plusieurs mois alors même que leur détection n’est possible que pendant une période réduite. C’est notamment le cas des stéroïdes anabolisants qui sont pris en « cure » pendant l’hiver afin de préparer la saison estivale. Il ne faut pas perdre de vue que lors des Jeux olympiques de Séoul en 1988, Ben Johnson n’a été contrôlé positif que de justesse. A quelques jours près, les traces de produit dopant n’étaient plus détectables… La liste des produits interdits édictés par l’Agence Mondiale Antidopage distingue donc les produits interdits lors des compétitions et ceux qui le sont en permanence. C’est pour détecter ces derniers que le programme de localisation a été mis en place.
La reconnaissance par la France du Code mondial antidopage avec la promulgation de la loi n°2006-405 du 5 avril 2006 puis les textes suivants a fait entrer dans notre droit un fichier dénommé « ADAMS » . Bien que ne concernant que les seuls sportifs de haut niveau, ce fichier contient des données personnelles sensibles en application d’un nouveau standard de contrôle applicable en 2009. C’est contre l’existence d’un tel fichage et de ses modalités d’applications que l’Union nationale des footballeurs professionnels et d’autres organisations syndicales de joueurs professionnels ont saisi le Conseil d’Etat le 1er juin 2010 contre certaines dispositions de l’ordonnance du 14 avril 2010. • La validation laconique du système des Autorisations d’Usage Thérapeutique (AUT) Les articles 2 et 4 de l’ordonnance contestée, codifiés maintenant aux articles L. 232-2, L. 232-2-1 et L. 232-9 du Code sport modifiaient les articles existants pour mettre en place un nouveau système d’autorisation thérapeutique . Comme le rappelle le Conseil d’Etat dans ses considérants , les nouvelles dispositions applicables sont ainsi formulées :
« Le sportif fait état de sa qualité lors de toute consultation médicale qui donne lieu à prescription. / Le sportif qui participe ou se prépare aux manifestations mentionnées au 1° de l'article L. 230-3 et dont l'état de santé requiert l'utilisation ou d'une substance ou méthode mentionnée au dernier alinéa de l'article L. 232-9 adresse à l'Agence française de lutte contre le dopage : / 1° Soit les demandes d'autorisation d'usage à des fins thérapeutiques ; / 2° Soit les déclarations d'usage ; qu'il introduit dans le même code un article L. 232 2 1 ainsi rédigé : Lorsqu'un professionnel de santé prescrit à un sportif lors d'un traitement une ou des substances ou méthodes inscrites sur la liste mentionnée à l'article L. 232-9, leur utilisation ou leur détention n'entraîne à l'égard de celui-ci ni sanction disciplinaire ni sanction pénale, si cette utilisation ou cette détention est conforme : / 1° Soit à une autorisation d'usage à des fins thérapeutiques accordée au sportif par l'agence ; / 2° Soit à une déclaration d'usage faite par le sportif auprès de l'agence ; / 3° Soit à une autorisation d'usage à des fins thérapeutiques accordée au sportif par une organisation nationale antidopage étrangère ou par une fédération internationale et dont l'agence reconnaît la validité (...) ; / 4° Soit à une déclaration d'usage faite par le sportif auprès d'une organisation nationale antidopage étrangère ou auprès d'une fédération internationale (...) / Les autorisations d'usage à des fins thérapeutiques sont accordées par l'Agence française de lutte contre le dopage, après avis conforme d'un comité d'expert placé auprès d'elle (...) » Clairement, ce que contestaient les sportifs, c’est l’élargissement de la définition du dopage. A ce grief, il fallait ajouter certainement les modalités d’adoption de ces modifications. En effet, alors même que tous les textes relatifs au dopage (loi du 1er juin 1965, loi du 28 juin 1989, loi du 23 mars 1999, loi du 5 avril 2006 et loi du 3 juillet 2008) ont été adoptés sous la forme législative avec des débats parlementaires, (il est vrai parfois en utilisant la procédure d’urgence). C’est désormais, par une voie détournée et peu médiatisée, à savoir une ordonnance, prise sur la base d’une habilitation d’un texte n’ayant aucun rapport avec le dopage que les lois précédemment votées sont modifiées. Un observateur attentif pourra d’ailleurs remarquer qu’entre la loi du 1er juin 1989 et l’ordonnance du 14 avril 2010, nous assistons à une dégradation continue du débat démocratique et du rôle du Parlement. En effet, nous sommes peu à peu passé d’un texte discuté longuement et adopté à l’unanimité, à un texte promulgué à la sauvette sous la forme d’une ordonnance contenue dans un texte législatif sans rapport. Or le plus inquiétant est que précisément, c’est que le dernier texte adopté est porteur des risques plus importants en termes de libertés. Faut-il considérer que la fin justifiait les moyens ou qu’il ne s’agissait que d’encombrement de l’ordre du jour parlementaire ? Le grief développé par les requérants portaient sur le fait que les nouvelles dispositions allaient interdire aux sportifs l’accès à certains médicaments pour se soigner car nécessitant désormais une autorisation d’usage thérapeutique (AUT).
Le système de l’AUT mise en place par le Code mondial antidopage de 2003 et maintenu dans la nouvelle version de 2009 vise avant tout à éviter, les justifications thérapeutiques a posteriori qui pouvaient donner lieu à des abus certains. Pour les sportifs requérants, la nouvelle rédaction du code du sport issu de l’ordonnance du 14 avril 2010 constituait entres autres, une atteinte à la liberté de prescription.
Le Conseil d’Etat a rejeté ce grief au motif, énoncé de manière laconique selon lequel, aucune atteinte n’était portée à la possibilité de se soigner car il s’agissait simplement de déclarer l’usage d’un produit ou de demander l’autorisation d’utiliser un produit.
Même si l’on comprend fort bien la nécessité de la mise en place du système des AUT, il est regrettable que le Conseil d’Etat ne prenne pas le temps d’expliquer sa position. La décision laisse la fâcheuse impression qu’à force de vouloir se mettre dans la situation de l’administration pour comprendre une mesure, le juge du Palais Royal omet de vérifier les effets d’une mesure sur les requérants. La lecture de la suite de la décision ne fait que renforcer cette fâcheuse impression. • La validation de la localisation Le premier grief soulevé par les requérants était doublé d’un grief relatif à l’obligation pour les sportifs de devoir se localiser afin de subir à tout moment des contrôles portant sur la détection de certains produits.
L’article 5.1.2 du Code mondial antidopage relatif aux groupes cibles dispose que « chaque fédération internationale devra définir un groupe cible de sportifs soumis aux contrôles parmi ses sportifs de niveau international et chaque organisation nationale antidopage devra définir au niveau national un groupe cible de sportifs soumis aux contrôles parmi les sportifs présents dans son pays, ou qui en sont ressortissants, résidents, ou qui sont membres ou licenciés d’une organisation sportive de son pays. Conformément à l’article 14.3, tout sportif compris dans un groupe cible de sportifs soumis aux contrôles sera assujetti aux exigences en matière de localisation énoncées dans les Standards internationaux de contrôle ». Contrairement au considérant relatif à la liberté de prescription, le Conseil d’Etat essaie d’expliquer sa position qui valide le contenu du Code mondial antidopage dans un long développement :
« Considérant que ces dispositions encadrent strictement la localisation des lieux dans lesquels les contrôles de l'AFLD sur les sportifs appartenant au groupe cible peuvent être diligentés ainsi que la période durant laquelle ces contrôles peuvent être effectués ; qu'elles soumettent ces sportifs, eu égard aux nécessités de la lutte contre le dopage, à l'obligation de fournir des renseignements précis et actualisés sur leur localisation afin de permettre l'organisation de contrôles, notamment inopinés, en vue de déceler efficacement la prise de substances dopantes, lesquelles peuvent n'être décelables que peu après leur utilisation alors même qu'elles ont des effets durables ; qu'ainsi, les articles 3 et 7 de l'ordonnance attaquée, qui ne font pas obstacle à la liberté d'aller et de venir des sportifs, ne portent au droit au respect de la vie privée et familiale de ces derniers, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et à la liberté individuelle que des atteintes nécessaires et proportionnées aux objectifs d'intérêt général poursuivis par la lutte contre le dopage, notamment la protection de la santé des sportifs ainsi que la garantie de l'équité et de l'éthique des compétitions sportives ; que l'ordonnance attaquée ne méconnaît pas non plus, en tout état de cause, les stipulations de la convention internationale contre le dopage dans le sport, qui ne sont pas d'effet direct ; » .
Pour le juge du Palais Royal, l’intérêt général qui sous tend la lutte contre le dopage justifie, l’ensemble des dispositions relatives à la localisation des sportifs du groupe cible :
« Considérant que les obligations de localisation posées par l'ordonnance attaquée, qui, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, sont justifiées par l'objectif d'intérêt général de lutte contre le dopage et sont proportionnées à cet objectif ». Il convient de s’interroger sur la connaissance par le Conseil d’Etat des effets pour la vie d’un sportif d’être dans le groupe cible. Ainsi, le standard international sur les contrôles de 2009 précise dans son article 11.1.4 : « Un sportif inclus dans un groupe cible de sportifs soumis aux contrôles est également tenu de préciser dans les informations sur sa localisation, pour chaque jour du trimestre à venir, une période quotidienne de 60 minutes où il sera disponible en un lieu indiqué pour un contrôle : (voir clause 11.4). Ceci ne limite aucunement l’obligation du sportif d’être disponible pour un contrôle à tout moment en tout lieu ». On conviendra que la vie privée du sportif est réduite à peu de choses quand il a l’infortune d’appartenir à un groupe cible. D’autant plus que l’appartenance à un tel groupe ne relève pas uniquement de l’Agence Française de Lutte contre le Dopage mais relève aussi, des fédérations internationales. Quand on connaît l’opacité et le manque de démocratie qui règne chez certaines, il est permis de s’inquiéter du blanc-seing délivré au nom d’un intérêt général sportif mal défini. Il est vrai que c’est au nom de l’intérêt général que le droit à l’image collectif avait vu le jour, avec l’aval du Conseil constitutionnel avant que sur la base d’un rapport de la Cour des comptes, avant que le législateur ne s’aperçoive que l’intérêt général était en l’occurrence trop particulier ! Les deux éléments avancés par le Conseil d’Etat afin de justifier sa décision reposent sur l’intégrité des compétitions sportives et la protection de la santé des sportifs. Compte tenu des graves atteintes portées aux libertés des sportifs par le système de localisation ainsi que le transfert des données à l’étranger (avec un contrôle des plus douteux), on se demande bien si le dopage ne constitue pas un danger plus grand que le trafic de stupéfiants ou le terrorisme…. Or à notre connaissance aucune étude de ce type n’a été produite. Faut-il rappeler le poids que représente sur la vie privée d’un sportif, l’obligation de se localiser à tout moment ? Au cas, où certains l’aurait oublié, le sportif est un citoyen comme un autre et qui bénéficie donc de la présomption d’innocence. L’obligation de se localiser ne pèse en droit français que sur les personnes munies d’un bracelet électronique car il s’agit d’une peine alternative pour des personnes condamnées. Rappelons aussi que l’obligation prévue par l’article 706-53-5 du Code de procédure pénale qui consiste à devoir se manifester une fois par an et à signaler son changement d’adresse dans les quinze jours après son changement concerne les délinquant sexuels ou les auteurs de crimes…. Peut-on sérieusement, croire que l’on se situe dans un tel degré de gravité quant à la justification des sujétions qui pèsent sur les sportifs ? Le nombre de sportifs soumis en France à l’obligation de localisation est d’environ 450 personnes. Or sur ce nombre tous ne se dopent pas…. Sachant que le taux d’analyses positives du laboratoire français est de l’ordre de 3% à 4 %, le problème de santé publique évoqué concernerait 18 sportifs si l’on retient le taux de 4 %. On conviendra que le problème de santé publique est alors plutôt mince.
L’autre argument repose sur la sincérité des compétitions. Le première remarque qui vient à l’esprit est que la sincérité relève d’abord de l’éthique sportive et non pas de l’ordre public. Sinon, il va falloir pénaliser toute une série de comportements que l’on peut observer lors des compétitions sportives de tous niveaux à savoir, une main en football ou un en-avant en rugby qui ne seraient pas sifflés et conduiraient à rompre l’intégrité de la compétition…
Il semble qu’en fait derrière l’argumentation de l’intégrité de la compétition, il faille comprendre l’intégrité des compétitions qui servent de support à des paris au titre de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne. Or est-il nécessaire de signaler que les paris sportifs ne concernent pas tous les sportifs et encore moins la majorité des compétitions ?
Ajoutons que grief reposant sur la violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme est balayé au non de l’intérêt général sportif précédemment décrit et il est possible dans cette affaire de se demander si « juger l’administration c’est encore administrer » ?
Pourtant pour la CEDH , l’article 8 de la Convention « protège le droit à l’épanouissement personnel ?, que ce soit sous la forme du développement personnel… ou sous l’aspect de l’autonomie personnelle ». Il apparaît de manière générale pour que la doctrine : « toute ingérence physique dans la vie d’un individu, spécialement quand elle est opérée contre son gré, risque de porter atteinte à l’article 8 ».
Le dopage constitue-t-il donc pour la société française un fléau d’une telle gravité qu’il justifie des mesures aussi attentatoires à la vie privée ?
Quand on connaît le nombre de victimes du tabac ou de l’alcool chaque année, la logique validée par le conseil d’Etat pour la localisation des sportifs, a de quoi inquiéter.
Alors même que comme le rappelle le Conseil d’Etat « les stipulations de la convention internationale contre le dopage dans le sport » n’ont pas d’effet direct en droit français, le Code mondial antidopage (qui n’a aucune valeur en droit interne) impose à nos citoyens des mesures que le pouvoir réglementaire s’empresse de « transposer ». Il est d’ailleurs symptomatique que la France fasse souvent l’objet de rappel à l’ordre de la part de la Commission européenne pour défaut de transposition alors qu’en matière sportive, l’urgence s’impose.
Il est vrai que crainte de ne pas organiser des manifestations internationales sur notre territoire (ce qui constitue la seule sanction possible en cas de non respect de toutes les dispositions du Code mondial antidopage) constitue un aiguillon certain quand la politique affichée d’accueillir le maximum de manifestations sportives internationales.
L’histoire se répète et il est fort dommage que le législateur en oublie les leçons. Ainsi, la loi du 6 mars 1998 avait-elle été votée afin de permettre à la France de continuer à accueillir un Grand prix de formule 1. La loi a été votée et le Grand prix de France de Formule 1 a disparu. Faut-il aussi rappeler l’urgence dans laquelle le Stade de France à été construit avec une loi sur mesure dont le Conseil constitutionnel vient d’en prononcer l’inconstitutionnalité? La protection de liberté individuelle des sportifs semble désormais passer après un intérêt général sportif qui n’est plus défini par le législateur mais par des organisations sportives internationales dont la gouvernance est loin d’être transparente.
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