Le 20 mars 2024

Footballeur professionnel - “Proposition de contrat” - Condition suspensive - Homologation - Caducité - Arrêt de travail - Rupture de contrat de travail - Mutation temporaire internationale.  

Footballeur professionnel - “Proposition de contrat” - Condition suspensive - Homologation - Caducité - Arrêt de travail - Rupture de contrat de travail - Mutation temporaire internationale.  
CA Angers 22 févr. 2024, n° 21-00444
 
M. X.Y est joueur de la sélection nationale de football du Sénégal, évoluant parallèlement dans le club Angers SCO en 2015/2016 et 2016/2017.
 
À l’issue de la saison 2016/2017, il a été engagé par Birmighmam City pour deux saisons (2017/2018 et 2018/2019).
 
Au début de celle de 2018/2019, le club de Birmighmam City et d’Angers SCO se sont entendus sur le principe d’une “mutation temporaire internationale” du joueur pour l’intégralité de cette deuxième saison.
 
Les conditions de retour du joueur au club d’Angers SCO ont été négociées. Le club d’Angers a proposé de contracter avec le joueur pour une durée de trois saisons, une au titre de la mutation internationale (2018/2019) et deux supplémentaires (2019/2020 et 2020/2021) au titre d’un nouveau contrat.
 
Les parties ont régularisé un CDD pour une durée d’une saison du 15 août 2018 au 30 juin 2019. Ce contrat a été homologué par la LFP et a pris effet le 15 août 2018.
 
Le 26 mars 2019, lors d’un match en sélection nationale, le joueur a été victime d’une rupture des ligaments croisés et a été placé en arrêt de travail jusqu’au 25 mai 2019, prolongé une première fois jusqu’au 30 juin 2019, une deuxième fois jusqu’au 1er oct. 2019 et une troisième fois jusqu’au 31 oct. 2019.
 
Le 8 nov. 2019, le joueur a souhaité reprendre l’entrainement, ce qui lui a été refusé.
 
Le 22 nov. 2019, il a saisi la commission juridique de la LFP laquelle a convoqué les parties pour une audience fixée le 17 déc. 2019. Le 17 janv. 2020, le joueur a informé le club qu’il prenait acte de la rupture de son contrat en date du 16 août 2018. Il a intégré le Red Star FC depuis le 6 oct. 2020.
 
La commission juridique de la LFP a entendu les parties le 24 janv. 2020 et a infligé à chacune d’elles une amende et rejeté les demandes du sportif.
 
Par requête du 15 sept. 2020, le joueur a saisi le conseil de prud’hommes d’Angers afin qu’il constate que le document intitulé “proposition de contrat” daté du 16 août 2018 est une promesse d’embauche valant contrat de travail lequel n’a pas été exécuté et dont la rupture doit s’analyser comme une rupture anticipée d’un contrat de travail à durée déterminée.
 
Il sollicitait en conséquence la condamnation du club Angers SCO à lui verser des dommages et intérêts pour rupture anticipée du CDD, des dommages et intérêts pour le non-paiement de la prime contractuelle, une indemnité pour la perte de chance d’obtention des primes de participation, une indemnité pour la perte de chance d’obtention des primes de réussite.
 
En date du 22 juil. 2021, le conseil de prud’hommes a jugé que le document intitulé “proposition de contrat” est une promesse d’embauche valant contrat de travail, que la non-exécution de ce contrat de travail à l’issue de l’arrêt pour accident de travail est bien à l’initiative du club SCO et s’analyse comme une rupture anticipée du CDD, condamne le club à verser au joueur une somme pour rupture anticipée du CDD correspondant aux rémunérations qu’il aurait perçues du 1er  juil. 2019 au 17 janv. 2020, date de la prise d’acte de rupture par le joueur.
 
Un appel fut interjeté de ce jugement.
 
Le joueur demande à la Cour de juger que le document intitulé “proposition de contrat” est un contrat de travail et que le club lui verse diverses sommes : pour rupture anticipée du CDD (salaires mensuels courant du 1er juil. 2019 au 30 juin 2021) ; pour le non-paiement de la prime contractuelle prévue le 10 sept. 2020 ; pour la perte de chance d’obtention des primes de participation ; pour la perte de chance d’obtention des primes de réussite.
 

  1. Sur la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire


 
Le Club SCO faisait valoir que le Conseil de prud’hommes et la Cour de céans sont incompétents au profit du tribunal administratif, au motif que les demandes du joueur portent sur un CDD spécifique soumis à l’homologation de la commission juridique de la LFP, laquelle constitue un acte administratif s’imposant au juge judiciaire.
 
Pour sa part, le joueur soutenait que le Conseil de prud’hommes est compétent pour statuer sur ses demandes, ce sur le fondement des articles L. 1411-3 du Code du travail[1], L. 222-2-6 du Code du sport[2] et 256 de la Charte du football professionnel[3].
 
En effet, la LFP participant à l’exécution d’une mission de service public administratif en organisant la réglementation et la gestion de compétitions sportives[4], la décision d’homologation ou de refus d’homologation constitue donc un acte administratif qui s’impose au juge judiciaire[5].
 
En revanche, si la décision d’homologation a la nature juridique d’un acte administratif et relève de la compétence de la juridiction administrative, les effets qu’elle entraîne sur le contrat de travail relèvent au contraire de la compétence du juge judiciaire.
 
Le juge judiciaire est, par conséquent, compétent pour statuer sur les demandes du joueur relatives à l’existence d’un CDD et sur les conséquences de sa rupture.
 
L’exception d’incompétence fut ainsi rejetée dans cette affaire.
 

  1. Sur le défaut d’homologation


 
Le club SCO d’Angers se prévalait de la décision de la commission juridique de la LFP du 21 janv. 2020 pour soutenir que l’acte sous seing privé litigieux est nul et de nul effet, faute d’homologation, soulignant que le joueur n’a formé aucun recours contre cette décision devenue alors définitive.
 
Le joueur estimait que le défaut d’homologation du contrat lui est inopposable dans la mesure où il résulte de la carence du club employeur.
 
Il a été retenu, si la décision de la commission juridique mentionne “considérant que ces éléments suffisent à qualifier la proposition litigieuse d’acte sous-seing privé contraire au Statut du joueur au sens de l’article 257 précité, rendant impossibles son homologation et, par conséquent, l’examen des demandes au fond introduites par le joueur”, que force est de constater qu’elle ne mentionne nulle part avoir été saisie par le club, auquel cette obligation incombait, d’une demande d’homologation. Le joueur n’était pas en mesure de former un recours quant à un refus d’homologation, non expressément prononcé par cette décision qui intervenait dans un cadre disciplinaire et pour tenter une conciliation[6].
 
Par suite, le club SCO ne peut se prévaloir de celle-ci pour soutenir que l’acte sous seing privé du 19 août 2018 est nul, du seul fait qu’il n’a pas été homologué.
 
III. Sur la nature du document signé par le club et le joueur
Le joueur soutenait que le document signé par les parties est un contrat synallagmatique entraînant alors la qualification d’un contrat de travail et non d’une simple proposition de contrat ou de promesse d’embauche. À cet égard, il fit observer que ce document est rédigé au présent de l’indicatif et qu’il précise le poste de travail, la date et le lieu d’exécution. Il fit en outre valoir qu’une promesse d’embauche vaut également contrat de travail et que la violation de la promesse par l’employeur doit s’analyser en une rupture anticipée du contrat sans cause entraînant l’octroi de dommages et intérêts.
 
Le document signé le 16 août 2018 par les deux parties, mentionne l’emploi proposé, la rémunération constituée de primes, ainsi que la date d’entrée en fonction et sa durée. Il est rédigé au présent de l’indicatif et comporte une clause d’exclusivité établie en ces termes : « Par l’acceptation du présent accord, Monsieur X.Y. s’engage exclusivement auprès de la SA Angers SCO et par conséquent sera amené à refuser catégoriquement toute sollicitation émanant d’un autre club ».
 
On était donc, incontestablement, en présence d’un véritable contrat de travail.
 

  1. Sur la caducité du contrat du fait de la non-réalisation d’une condition suspensive


 
Le club SCO Angers soutenait que le second contrat dont se prévaut le joueur et devant débuter le 1er juil. 2019 est devenu caduc du fait de sa non-réalisation entraînée par son arrêt de travail. À cet égard, le club précisait que l’article 1 prévoyait une condition suspensive caractérisée par la nécessité de passer une visite médicale d’embauche laquelle n’a jamais eu lieu. Il ajoutait que le joueur n’était pas en capacité physique de remplir ses obligations de sorte qu’aucun commencement d’exécution du contrat n’a pu intervenir et faisait encore observer que l’engagement dont se prévaut le joueur a été jugé comme étant nul et non avenu par la commission juridique de la LFP.
 
Le joueur rappelait qu’il a été victime d’un accident du travail le 26 mars 2019 et que les trois arrêts prolongeant son arrêt de travail initial portent le cachet du club, ajoutant qu’il n’a, à aucun moment, été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail et qu’il a pu poursuivre son activité professionnelle dans un autre club au terme d’une période de remise en forme. Selon lui, la non-exécution du contrat à la seule initiative de l’employeur sans motif légitime doit s’analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
 
Sur ce, le contrat signé le 16 août 2018 prévoyait en effet une condition suspensive relative au maintien du club en ligue 1, dont il n’est pas contesté qu’elle s’est réalisée.
 
Il mentionnait en outre : « La SA Angers SCO propose d’engager le joueur professionnel X. Y. conformément aux dispositions de la charte du football professionnel, du code du travail, sous réserve de la visite médicale d’embauche ».
 
Dans ce contexte, il résulte des dispositions d’ordre public du Code du travail[7], auxquelles ni la Charte du football professionnel, qui a valeur de convention collective sectorielle, ni le contrat de travail ne peuvent déroger dans un sens défavorable au salarié, que le CDD ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas d’accord des parties, de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail[8].
 
Cela dit, lesdites dispositions d’ordre public - dont il résulte que le CDD ne peut être rompu avant l’échéance du terme que dans les seuls cas visés par ce texte - ne prohibent pas la stipulation d’une condition suspensive[9].
 
Or, en l’espèce, il apparut que le joueur, en arrêt de travail jusqu’au 31 oct. 2019, en raison d’une rupture des ligaments croisés, n’a pas pu se présenter à son travail le 1er juil. 2019, date de prise d’effet du contrat.
 
La Cour a estimé que « si les arrêts de travail prescrits par son employeur portent le cachet du SCO d’Angers, ce qui était tout à fait normal pour ceux allant jusqu’au 30 juin 2019, il ne peut être déduit de ce seul élément que le club avait entendu renoncer à la condition suspensive imposant un examen médical ».
 
C’est dire que le contrat litigieux n’a donc pas reçu de commencement d’exécution ; qu’il est devenu caduc du seul fait de l’absence de visite médicale d’embauche, laquelle ne pouvait être organisée au regard de la situation du joueur. Par conséquent, la demande du joueur, faite le 8 nov. 2019, de reprendre l’entrainement n’a pas été considérée comme pouvant avoir pour effet de faire renaître un contrat caduc. Par suite, la prise d’acte par le joueur de la rupture de son contrat est jugée par la Cour dépourvue d’objet, tant les juges considèrent, en pareille hypothèse, qu’un joueur ne peut soutenir que le contrat a été abusivement rompu de manière anticipée par son club.
 
Samba THIAM - Elève avocat
 
[1] Art. L. 1411-3, C. trav : « Le conseil de prud'hommes règle les différends et litiges nés entre salariés à l'occasion du travail ».
[2] Art. L.222-2-6, C. sport : « Le règlement de la fédération sportive ou, le cas échéant, de la ligue professionnelle peut prévoir une procédure d'homologation du contrat de travail à durée déterminée du sportif et de l'entraîneur professionnels et déterminer les modalités de l'homologation ainsi que les conséquences sportives en cas d'absence d'homologation du contrat. Les conditions dans lesquelles l'absence d'homologation du contrat peut faire obstacle à son entrée en vigueur sont déterminées par une convention ou un accord collectif national ».
[3] Art. 256 de la Chartre du football professionnel : « Tout contrat, ou avenant de contrat, non soumis à l’homologation ou ayant fait l’objet d’un refus d’homologation par la commission juridique est nul et de nul effet ».
[4] Art. R. 132-12, C. sport.
[5] Cass. soc., 14 sept 2016, n° 15-21.794.
[6] Art. 51, Chartre du football professionnel.
[7] Art. L. 1243-1, C. trav.
[8] Cass. soc., 10 févr. 2016, n° 14-30.095.
[9] Cass. soc., 15 mars 2017, n° 15-24.028.
 
 
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