Conciliation et conflits d’intérêts : liaisons dangereuses ou honteuses ?
Rendue obligatoire par la loi n°92-652du 13 juillet 1992, la conciliation de certains litiges sportifs devant le Comité National Olympique et Sportif Français, est maintenant codifiée à l’article L141-4 du Code du sport : « Le Comité national olympique et sportif français est chargé d'une mission de conciliation dans les conflits opposant les licenciés, les agents sportifs, les associations et sociétés sportives et les fédérations sportives agréées, à l'exception des conflits mettant en cause des faits de dopage (…) ». Les détails du fonctionnement de la procédure de conciliation sont définis par les articles R. 141-1 à R. 141-25 du code du sport. Ainsi, l’article R.141-20 du code du sport précise les conditions de récusation des conciliateurs :
« Chaque partie peut récuser les conciliateurs ainsi désignés dans les trois jours de la réception de la notification mentionnée au premier alinéa pour l'un des motifs suivants qui doit être justifié par le demandeur : 1° Parenté ou alliance des conciliateurs avec l'une des parties ; 2° Communauté ou opposition d'intérêt entre les conciliateurs et l'une des parties ; 3° Intérêt ou intervention des conciliateurs dans le différend. Il est statué sur cette demande de récusation par le président de la conférence des conciliateurs ou, si elle le concerne, par le vice-président. En cas de récusation des conciliateurs, il est pourvu à leur remplacement dans les mêmes formes et délais que leur désignation initiale. » Il apparait de manière très nette à la lecture de ses dispositions que si les conditions des récusations ont bien été prévues par le code du sport, aucune disposition ne concerne les conditions de déport et plus généralement la question des conflits d’intérêt. Pour le Conseil de l’Europe : « Un conflit d'intérêts naît d'une situation dans laquelle un agent public a un intérêt personnel de nature à influer ou paraître influer sur l'exercice impartial et objectif de ses fonctions officielles. L'intérêt personnel de l'agent public englobe tout avantage pour lui-même ou elle-même ou en faveur de sa famille, de parents, d'amis ou de personnes proches, ou de personnes ou organisations avec lesquelles il ou elle a ou a eu des relations d'affaires ou politiques. Il englobe également toute obligation financière ou civile à laquelle l'agent public est assujetti. » La récusation suppose qu’une des parties dispose de suffisamment d’informations pour demander la récusation du conciliateur, or cette hypothèse nécessite que les parties soient très clairement informées des intérêts réels ou apparents non seulement des parties mais aussi des conciliateurs. Il convient de s’interroger sur une pratique qui s’est instaurée parmi les assistants de conciliation n’est pas sans soulever des interrogations. En effet, les conciliateurs sont assistés d’assistant de conciliation qui aident ces derniers lors de la préparation de l’audience, ainsi que lors de l’audience. Le statut des assistants de conciliation ne relève pas du code du sport mais de dispositions internes au CNOSF. Ainsi l’article R. 141-22 du code du sport consacré à l’audience de conciliation, n’en fait aucunement état . Les anciens assistants de conciliation peuvent devenir par la suite, avocats ou conseillers dans des fédérations sportives. Il ne s’agit pas ici de leur contester le droit de continuer leur évolution professionnelle en dehors du CNOSF, mais il est regrettable que l’absence de mention de la fonction dans le code du sport aboutisse à ignorer la réalité. C’est ainsi que se pose la question du conflit d’intérêt apparent, quand un ancien avocat ou un responsable juridique vient défendre une partie devant un conciliateur après avoir œuvré pendant des années avec lui comme assistant de conciliation. Ne peut-on pas considérer qu’il y a « une communauté d’intérêt (…) entre les conciliateurs et l'une des parties » ? Dans la tradition française le conflit d’intérêt apparent est assez peu considéré. Cependant, la question devrait faire l’objet d’une réflexion particulière. Des évolutions apparaissent mais de manière progressive, ainsi le collège de déontologie de la juridiction administrative a émis plusieurs avis qui donnent des pistes intéressants quant aux règles qui devraient être respectées. Est aussi abordée la question d’un membre de la juridiction administrative placé en position de disponibilité « la signature d’un mémoire ne doit pas être assortie de la mention de son état de magistrat ». Or il arrive que lors des procédures qui suivent une conciliation, il soit fait état des fonctions de magistrat du conciliateur, alors que seule cette dernière mention devrait se suffire elle-même. Faire état de la qualité de magistrat revient à signaler à la juridiction saisi, qu’il parait difficilement concevable de revenir sur la décision prise. Le collège de déontologie considère qu’il faut aussi éviter que les apparences ne soient pas trompeuses, il faut « éviter que la participation personnelle d’un magistrat à une procédure (..) puisse être ressentie comme une forme de rupture d’égalité au détriment de l’autre partie » . Enfin, il est précisé qu’un ancien magistrat qui deviendrait avocat doit s’abstenir de traiter pendant une durée de trois ans, d’affaires relevant de la juridiction dans laquelle il était affecté et d’une manière générale d’affaires dont il avait eu à connaitre Il doit aussi faire preuve de vigilance et de réserve dans les relations qu’il pourrait avoir avec la juridiction administrative . Comme la conciliation est en partie obligatoire, elle est souvent présentée comme une procédure quasi-juridictionnelle, « il ne s'agit pas d'"une conciliation traditionnelle, mais la conciliation telle qu'elle existe aujourd'hui dans un certain nombre de secteurs et qui se rapproche de l'arbitrage. C'est une procédure qui, à certains égards, mais pas toujours, peut être quasi juridictionnelle" » . Dans le domaine du sport, la question des conflits d’intérêts au sein des instances de régulation des conflits n’est pas neutre et fait parfois l’objet d’attention particulière. Ainsi au niveau du Tribunal arbitral du sport, l’article S 18 dispose :
« Les arbitres et médiateurs du TAS ne peuvent pas agir comme conseil d’une partie devant le TAS. » Une telle disposition, qui n’existait pas à l’origine a été précisément ajouté pour éviter qu’une trop grande proximité de certains acteurs de la procédure, jette le doute sur son impartialité. S’il est vrai que la tradition française préfère souvent la répression à la prévention, cette position nous démarque d’autres pays. Ainsi au Canada, la question du conflit d’intérêt apparent chez les agents publics, fait l’objet d’une vigilance particulière. Ainsi dans l'arrêt Fraser , la Cour suprême canadienne a estimé : « Un emploi dans la fonction publique comporte deux dimensions, l'une se rapportant aux tâches de l'employé et à la manière dont il les accomplit, l'autre se rapportant à la manière dont le public perçoit l'emploi» Elle a rappelé plus loin « l'intérêt du public vis-à-vis de l'impartialité réelle et apparente de la fonction publique ». Dans une affaire jugée par la Cour d’appel fédérale , qui concernait un fonctionnaire sanctionné pour conflit d’intérêts apparent, il a été jugé que : « Manifestement, la fonction publique ne sera pas considérée comme impartiale et efficace dans l'exécution de ses fonctions si l'on tolère l'existence de conflits apparents entre l'intérêt personnel des fonctionnaires et leurs obligations à l'endroit du public ». Il convient ainsi de rappeler le célèbre aphorisme de Lord Hewart qui écrivit en 1924 à propos d’une affaire : « …is of fundamental importance that justice should not only be done, but should manifestly and undoubtedly be seen to be done. » que l’on peut traduire, « il ne suffit pas que la Justice soit rendue, il faut aussi qu’elle le soit de manière transparente ». Dans le domaine de la conciliation, afin d’éviter l’accusation de liaison dangereuses, il est donc nécessaire de porter remède à ce conflit d’intérêts apparent. La solution passe par l’obligation de se déporter pour un conciliateur qui retrouve comme partie, un ancien assistant de conciliation avec lequel il a travaillé. Afin de garder une certaine souplesse, la durée pendant laquelle le déport serait exigé pourrait être de trois années comme cela existe dans d’autres domaines. Enfin, afin d’éviter l’accusation de manque de transparence (liaisons honteuses..) les anciens assistants de conciliation devraient préciser à la partie adverse leur qualité afin de pouvoir faciliter le respect de la procédure. C’est à ces conditions que la procédure pourrait ainsi faire l’économie des doutes sur les apparences dont chacun sait qu’elles peuvent être trompeuses.
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